Parier sur l’intelligence
Par Trina Mounier
Les Trois Coups.com
Sujet terrible et délicat que celui qu’ont choisi Yael Rasooly et Yaara Goldring pour « la Maison près du lac » avec infiniment de subtilité et d’intelligence.
« la Maison près du lac » | © Nir Shaanani
Programmée au Théâtre Nouvelle Génération, cette Maison près du lac est destinée aux plus de 14 ans. À juste titre, non tellement à cause du sujet (la vie des enfants juifs dans une ville allemande sous domination des nazis), mais en raison du traitement narratif et scénographique qui procède par ellipses et suppose un minimum de références historiques à cette période.
Au centre du plateau, un plancher carré de dimensions réduites restreint l’espace scénique comme est resserré l’espace vital des trois petites filles que leur maman a laissées là, enfermées, avec pour consigne de ne pas sortir, ni faire de bruit, ni se faire remarquer d’aucune manière. Trois chaises d’enfant comme celles du conte de Boucles d’or, une pour chacune, la grande, la moyenne et la petite. Et trois poupées, car elles sont encore très jeunes et ne s’en séparent pas. Mais le loup de cette histoire est infiniment diabolique.
Comment occupe-t-on son temps quand on est coupé d’un environnement extérieur hostile ? C’est la partie dominante du propos des deux metteuses en scène. On fait comme si l’on était dans une existence ordinaire, on révise son piano, on s’entraîne à la barre pour la danse, on fait ses devoirs, et tout cela avec une remarquable régularité qui vous empêche de devenir fou, ponctuée par une sonnerie comme à l’école. Et puis on joue et on se chamaille… La vie quotidienne et l’enfance la plus normale du monde, en somme. Et quand on a trop peur, par exemple lorsqu’on (qui ?) frappe à la porte ou que résonnent des bruits de botte ou des chants nazis, on s’invente des histoires de petites filles avec princesse et prince charmant dans une maison près d’un grand lac… L’ennemi n’est jamais montré, seulement entendu, et ces ellipses pudiques qui tiennent l’horreur et l’émotion qu’elles génèrent à distance, jouent sur la connivence et renforcent la dimension dramatique. Une version théâtrale du Journal d’Anne Franck, auquel on ne peut pas ne pas penser.
La mise en scène est inventive
La mise en scène est inventive et procède par petites touches : les poupées se disloquent et deviennent marionnettes vivantes dans les mains des trois comédiennes au point que parfois on ne sait plus qui est qui. La musique représente une dimension essentielle de cette histoire contée en chansons, dont les paroles oscillent entre l’allemand, le français et l’anglais. On ne comprend pas tout, mais c’est ainsi qu’on apprend que la mère est partie. Les enfants jouent du violon, du piano et du violoncelle : c’est la culture qu’on a enfermée dans ces quelques mètres carrés. Quelques scènes soulignent cependant le danger, comme lorsque la plus jeune des sœurs, pour faire rentrer l’air et… les bruits des soldats qui ont envahi la rue, ouvre des volets que la sœur aînée va fermement refermer.
La deuxième partie de la pièce, plus courte, suggère le pire : les petites filles vont être extirpées sans ménagement de leur prison. Désormais, ce seront les trains, les camps, les brutalités, la mort. Seule une des enfants sera sauvée (et encore, de quelle horrible manière !), sans doute à cause de sa voix, merveilleuse, et c’est dans un cabaret qu’elle met en notes sa douloureuse histoire. Pas d’images chocs, seulement des bruits, des portes qui claquent, et deux petites filles qui dorénavant nous tournent le dos. Loin d’édulcorer ces sombres années, la Maison près du lac sonne juste et prend le jeune public pour des personnes intelligentes et sensibles, aptes à entendre les vérités, fussent-elles terrifiantes, et à apprécier la grande beauté d’un spectacle, fût-il exigeant. Il eût été facile de faire de la surenchère, de la pédagogie à tout prix. Rien de tout cela ici : le rythme est lent, tout pathos est exclu. L’émotion et la tristesse plongent dans un silence respectueux des classes d’adolescents pourtant bougons au départ et dont l’attention n’était pas gagnée d’avance. ¶
Trina Mounier
La Maison près du lac, cabaret musical pour actrices, marionnettes et objets de Yael Rasooly et Yaara Goldring
Mise en scène : Yael Rasooly et Yaara Goldring
Cocréateurs : Edna Blilious, Rinat Sterenberg
Jeu : Maya Kindler, Michal Vaknin, Yael Rasooly
Scénographie et costumes : Pierre-François Limbosch
Création marionnettes et objets : Maayan Resnick, assisté de Noa Abend
Compositeur et parolier : Nadav Wiesel
Création sonore : Binya Reches
Création lumières : Asi Gottesman
Assistant metteur en scène : Michal Vaknin
Regard extérieur : Yeal Inbar
La Maison près du lac est une production de Hazira Performance Art Arena de Jérusalem
La diffusion du spectacle se fait grâce au soutien de Mifal Hapais
Création au Acco Festival of Alternative Israeli Theater en 2010
Prix de la Meilleure Création scénographique, costumes, marionnettes, objets et lumières
Partenaires de la recréation : Théâtre Nouvelle Génération / C.D.N. de Lyon, maison des Arts de Thonon-les-Bains, Théâtre des Bergeries de Noisy-le-Sec, espace Germinal à Fosse et Théâtre Romain-Rolland de Villejuif
Avec le soutien du Théâtre Jean-Arp de Clamart
Diffusion : Blah Blah Production
Plus d’infos : www.yaelrasooly.com
T.N.G. • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon
Métro Valmy
Réservations : 04 72 53 15 415
Jeudi 13 et vendredi 14 novembre 2014 à 14 h 30, samedi 15 à 20 heures et dimanche 16 à 16 heures
Durée : 1 heure
Pour plus de 14 ans